Business des otages, la rançon de la terreur
Mardi 19 août 2014, l’État islamique publiait sur internet une vidéo intitulée « Message à l’Amérique », qui montrait la décapitation du journaliste photographe américain James Foley par un djihadiste à l’accent anglais. James Foley avait notamment été détenu en Syrie en compagnie du journaliste français Didier François d’octobre 2013 à avril 2014, moment de sa libération ainsi que celle de 3 autres otages français contre une rançon estimée à 13 millions d’euros. Cet événement nous rappelle les 3 facettes de la prise d’otages : vengeance, message idéologique et financement des activités terroristes.
Au XXIème siècle, l’affaiblissement interne des États aboutissant parfois à leur faillite voire à une somalisation (disparition de l’État) engendre l’augmentation des zones grises dans le monde. Il résulte de ce vide de pouvoir le développement d’autorités alternatives : prolifération de groupes terroristes, bandes criminelles organisées, seigneurs de guerres et autres trafiquants. Des conditions propices aux prises d’otages. Un événement majeur va provoquer une multiplication vertigineuse des enlèvements. En 2003, une trentaine de touristes à majorité suisse et allemande est enlevée au Mali puis libérée contre une rançon de plusieurs millions d’euros grâce à la collaboration des autorités maliennes. Depuis, nous assistons à un boom des prises d’otages au Sahel, en Somalie (piraterie) et au Moyen-Orient, concomitant à une augmentation du prix des rançons. Ce cercle vicieux alimente le trafic d’otages à l’échelle mondiale.
Les enlèvements d’otages répondent à un objectif double. L’enjeu est d’abord idéologique et médiatique : transmettre des revendications avec des vidéos qui sont des spots publicitaires persuasifs pour faire pression sur les familles et les gouvernements et ainsi faire monter les enchères. Le but est aussi financier : il s’agit d’une industrie lucrative. L’otage est un produit médiatique, à forte valeur marchande et émotionnelle. La négociation est donc envisageable avec un avantage certain pour les trafiquants ; les autres trafics (armes, drogues, pétrole,…) demeurent dans l’ombre. L’industrie de l’enlèvement fonctionne en réseau comprenant de nombreux intermédiaires et une logistique élaborée (ce qui fait monter les prix) : gardiens, ravitaillement (nourriture, eau, essence), interprète (relai), informateurs ainsi que des groupes de trafiquants qui sillonnent les déserts à la recherche de victimes à revendre aux cellules terroristes qui en sont friandes.
Qui sont les responsables ?
Les preneurs d’otages, les otages eux-mêmes qui parfois prennent des risques inconsidérés et lourds de conséquences, les entreprises qui renseignent et protègent insuffisamment leur personnel et enfin les États qui en payant les rançons favorisent l’essor de l’industrie du trafic d’otages. À ce propos, Mathieu Guidère rappelle qu’il existe 2 doctrines : l’école anglo-saxonne selon laquelle on ne négocie pas avec les ravisseurs. Aucune rançon ne sera payée par l’État car la gestion de l’enlèvement dépend de la responsabilité individuelle voire de celle de l’employeur. Cette méthode concourt au développement des contrats « K&R » pour « kidnapping & rançon », souscrits entre des entreprises (voire des particuliers) et des compagnies d’assurances. L’école française atteste que l’État est le garant de la sécurité de ses citoyens (conception matrimoniale de l’État). Les prises d’otages deviennent alors une affaire d’État ce qui participe à l’inflation du prix des otages. L’opération Serval au Mali change la donne : la France ne peut plus se permettre de financer ses propres ennemis de guerre.
Une enquête du New York Times montre que la majorité des otages détenue par Al-Qaïda dans le monde depuis 2008 est européenne. L’Europe, excepté le Royaume-Uni, est accusée de payer systématiquement les rançons et donc de financer le terrorisme contre lequel elle prétend lutter. L’enquête met en lumière la schizophrénie et la contre-productivité des politiques étrangères européennes au sujet du terrorisme et des prises d’otages. Il existe un fossé entre le discours affirmant le non-paiement des rançons et la réalité. Ainsi le gouvernement suisse travestit-il les rançons en aide humanitaire et la France fait-elle transiter l’argent par des pays alliés comme la Turquie lors de la libération des otages français en Syrie.
Le développement accru des rapts entraîne une codification du business des otages. Un chef d’Al-Qaïda a même publié un guide de l’enlèvement et du rançonnement des otages. Ce contexte participe au renforcement du crime organisé et des capacités de financement des groupes terroristes djihadistes. Al-Qaïda aurait perçu environ 93 millions d’euros grâce aux rançons depuis 2008 ; le business des otages devenant sa 1ère source de financement. Nous assistons surtout à la croissance préoccupante d’un secteur d’activité lucratif criminogène (négociateurs, assureurs, intermédiaires, groupes armés terroristes et trafiquants) qui s’institutionnalise progressivement. Grâce au business des otages, des groupuscules sectaires se métamorphosent en organisations terroristes parfois sanctuarisées et dotées d’un potentiel conséquent de déstabilisation régionale à l’image d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de l’État islamique (EI).